Covid-19 oblige, 2020 nous aura fait plonger dans l'enseignement à distance.
Autant le dire tout de suite, qu'on l'appelle enseignement à distance ou distanciel, cette situation où l'enseignant n'est pas physiquement avec ses étudiants n'est pas idéale. Pour ma part, la richesse et l'intérêt de mon métier d'enseignant réside dans les interactions que j'ai avec mes étudiants, a priori au même endroit et au même moment. Pour autant, peut-on créer de l'interaction avec des étudiants qui sont ailleurs, à travers une visio Zoom ou un forum Moodle ? Je l'espère, au moins momentanément, car cela semble être la situation des prochains mois.
D'ailleurs, si vous ne l'avez pas déjà vu, jetez un oeil au court métrage As it used to be de Clément Gonzalez :
As It Used To Be - Vostfr from Clement Gonzalez on Vimeo.
J'attends donc le retour des cours en présentiel complet, en short (ou pas), avec impatience ;-)
À toute fin utile, j'ai compilé ici quelques ressources pour accompagner ce passage à l'enseignement à distance.
Construire un scénario pédagogique
4 scénarios pour enseigner ou former à distance, de Jean-François Parmentier et Quentin Vicens, juillet 2020 (sous licence Creative Commons BY-SA). Ce guide est court et pragmatique. Il détaille 4 scénarios : l'exposé interactif, le travail en petit groupe, la classe inversée et une présence à distance, avec à chaque fois des fiches pratiques comme « Bien concevoir ses vidéos » ou « Animer les discussions en ligne ». Pour info, Jean-François Parmentier et Quentin Vicens sont également les auteurs de l'ouvrage « Enseigner dans le supérieur. Méthodologie et pédagogies actives », excellent bouquin que je vous recommande.
Le guide précédent mentionne plusieurs fois la notion d'objectif pédagogique ou d'objectif d'apprentissage. Si vous n'êtes pas très au clair avec ce concept, je sous invite à consulter la vidéo du Service d’Accompagnement aux Pédagogies Innovantes et à l’Enseignement Numérique de Sorbonne Paris Cité (SAPIENS) sur ce sujet :
En bonus, vous découvrirez ce qu'est l'alignement pédagogique et la taxonomie de Bloom ;-)
Peer instruction
Le premier scénario mentionné par Jean-François Parmentier et Quentin Vicens est l'exposé interactif. Il repose sur la mise en place de « microdébats » (fiche 3) que je connaissais plutôt sous le nom de peer instruction. Ce concept a été développé et popularisé par Eric Mazur dans les années 1990. Voir par exemple son livre Peer Instruction: A User's Manual ou cette vidéo, « Eric Mazur, Abridged "Confessions of a Converted Lecturer" » :
Cet article en français explique aussi très bien le concept.
J'adore l'idée du microdébat ou peer instruction, cela favorise la discussion et l'argumentation entre les étudiants. Je l'ai testé en amphi en L3 comme en plus petit groupe en M1. À chaque fois les étudiants ont apprécié.
À Toulouse, la méthode est aussi utilisée avec succès.
Le peer instruction se prête bien à l'enseignement en distanciel. On peut utiliser WooClap ou un autre système de quiz en ligne pour la partie question/réponse et les breakout rooms de Zoom pour la partie discussion/débat.
La classe inversée
Un autre scénario mentionné par Jean-François Parmentier et Quentin Vicens est celui de la classe inversée. Ce scénario est, parfois, perçu comme une « solution magique » au distanciel. En fait non, pas du tout. La classe inversée repose certes, sur une acquisition des connaissances par les étudiants, en autonomie et a fortiori en distanciel mais les moments d'interaction avec l'enseignant sont essentiels pour renforcer, illuster, comparer, lier et questionner ces connaissances. Bien sûr, cette phase peut également se faire à distance... comme en présentiel. Mais quelque soit le cas de figure, la qualité de l'interaction avec l'enseignant est essentielle.
Si la classe inversée vous intéresse, « La classe à l'envers pour apprendre à l'endroit », de Julie Lecoq et Marcel Lebrun, est un guide pratique abordable et très clair sur la classe inversée. Le même Marcel Lebrun a aussi récemment donné une conférence sur le sujet : « Les classes inversées, une opportunité pédagogique pour le retour en classe ? » (juillet 2020) :
Voici un extrait de son diaporama, expliquant ce qu'est et ce que n'est pas la classe inversée :
Le terme « d'apprenants autistes » mis à part, je souscris complètement à ce qui est dit dans cette diapo.
Pour terminer sur la classe inversée, ou plutôt les classes inversées, n'hésitez pas à jeter un oeil sur l'article « Ten Simple Rules for Implementing a Flipped Classroom » co-écrit par votre serviteur et actuellement en préprint 🚀. Je ferai également un retour d'expérience de la classe inversée pour l'apprentissage de la programmation Python lors du congrès de la classe inversée (CLIC 2020) qui aura lieu du 30 octobre au 1er novembre 2020.
Explicitation et cohérence
Si l'enseignement à distance suscite beaucoup de questions et d'inquiétudes chez les enseignants, il peut aussi être perçu comme stressant par les étudiants. Le centre de soutien à l'enseignement de l'Université de Lausanne propose deux vidéos pour mieux préparer et organiser nos enseignements et communiquer clairement nos attentes aux étudiants :
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Equilibrer la charge de travail de vos étudiant·e·s dans l'enseignement à distance (27/04/2020)
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Vérifier la cohérence de son enseignement adapté pour un format à distance (14/04/2020)
L'enseignement hybride / hybride synchrone
L'enseignement hybride est un enseignement basé sur l'alternance de sessions en présenciel et en distanciel. Les classes inversées peuvent être vues comme des dispositifs pédagogiques hybrides.
L'enseignement hybride peut évoluer sous une forme synchrone (détaillée par exemple sur le site de l'Acédémie de Paris « Enseignement hybride synchrone | HySy »). L'enseignement serait une sorte de présen-distanciel, où l'enseignant et une partie des étudiants sont présent et, contraintes sanitaires obligent, l'autre partie des étudiants sont en distanciel. Cette situation est actuellement envisagée dans mon université.
Mais je ne suis pas sûr d'être capable d'animer une séance d'enseignement avec des étudiants présents et distants en même temps. Comment faire en sorte pour que les étudiants à distance m'entendent et me voient correctement ? Puis-je faire la même activité pédagogique en présentiel et à distance ? Enfin, cette modalité hybride synchrone nécessite un équipement informatique performant et maitrisé.
En l'absence de réponse à ces questions et de support logistique, je préfère opter pour un enseignement 100% distanciel. L'enseignant est à distance, les étudiants le sont également. Ce n'est pas idéal, mais j'espère ainsi compenser l'absence d'interaction « physique » par une meilleure interaction avec le groupe dans sa globalité.
Enfin, un enseignement à distance ne signifie pas nécessairement que les étudiants sont chez eux. Pourquoi ne pas permettre, aux étudiants qui en ont le besoin, de suivre le cours dans les locaux de l'université, rebouclant ainsi sur le concept de « distance » (et de Learning Labs) tel que discuté par Marcel Lebrun ?
Gérer la distance
Julien Morice propose quelques conseils pour adapter un cours en distanciel dans le webinair « Adapter son cours en présentiel pour la distance » :
Le document avec tous les conseils est également disponible (mais attention, le lien vers la vidéo fourni dans le document ne semble pas être le bon). Julien Morice anime aussi la chaîne Youtube « Le Pedagotube » avec plein d'astuces pour bien utiliser Zoom et la chaîne « Moodle en 2 minutes » avec de nombreux tutos dédiés à Moodle, notamment côté enseignants.
Jean-François Parmentier (oui, celui déjà mentionné plus haut) a récemment animé un webinair sur le thème « Faire interagir efficacement vos apprenants en classe virtuelle » :
Au programme, utilisation des salles de petits groupes avec Zoom, l'outil sondage, toujours avec Zoom, et du peer instruction.
Préparer des examens en distanciel
De mon point vue, préparer un examen à distance est assez stressant. On ne peut pas vérifier l'identité des étudiants qui composent (en l'absence de solution de proctoring). On craint la panne informatique, que ce soit de la plateforme qui héberge l'examen ou chez les étudiants. Enfin, on ignore l'environnement de travail des étudiants (équipement informatique, espace suffisant, calme...) et donc leur capacité à réaliser l'examen dans de bonnes conditions.
L'émission « L'apéro des profs #3 » du 13/04/2020 sur Youtube était dédiée sur l'évaluation à distance et propose quelques pistes de réflexion : « Comment évaluer les apprentissages des étudiant·e·s dans un contexte de confinement ? »
L'université de Lausanne a également publié le « Vade-mecum pour l’évaluation à distance des étudiant·e·s » qui permet de s'orienter dans les différentes modalités d'évaluation à distance possibles. Christophe Batier et Emmanuel Sylvestre ont ensuite repris ce guide sous forme d'une série de 6 courtes vidéos sur Youtube.
Quelques précautions pour conclure
Cette page recense beaucoup de ressources, diverses et variées. La plupart vont dans le sens des pédagogies actives et de l'enseignement explicite. Si vous décidez d'aller dans cette direction pour structurer votre cours à distance, n'essayez pas de tout mettre en place d'un seul coup tout seul. Vous risquez d'exploser en plein vol. Concentrez-vous sur 2 ou 3 objectifs qui vous semblent essentiels, soyez indulgent avec vous-même et osez expérimenter ! 😃